Lalalaaaaaa, je viens à nouveau polluer cette sympathique section en y créant l'un de mes fameux topics voués au bide ^_^
La parution de ce manga vient tout juste de commencer en France. Le titre est terminé en 5 tomes au Japon.
Mon avis ne concernera que le tome 1, donc.
A l'origine du Coffre aux Esprits, on retrouve une histoire de Natsuhiko Kyogoku, romancier principalement connu pour ses oeuvres mystérieuses tournant autour des yokai. Aux dessins, nous retrouvons la renommée Aki Shimizu, auteure de titres très appréciés tels que Suikoden III ou Qwan.
Peu après la deuxième guerre mondiale, dans une école pour filles du Japon des années 50, Yoriko Kusumoto, une jeune fille de 14 ans timide, solitaire et dépourvue de la présence d'un père depuis l'enfance, est la cible des moqueries de ses camarades de classe, et mène une vie emplie de désarroi entre une mère hystérique qui la considère comme un démon et un beau-père repoussant. Mais un jour, elle est abordée, à la surprise générale, par Kanako Yuzuki, une élève reconnue pour sa beauté mystérieuse et fascinante qui confine à la perfection. Rapidement, les promenades nocturnes paisibles et romantiques se suivent, et les deux demoiselles se lient d'une amitié très soudée, si bien que Yoriko en vient à se demander si elle n'aime pas Kanako.
Mais pendant cette courte introduction d'une trentaine de pages, quelques éléments mystérieux viennent déjà titiller le lecteur. Qui est exactement la mystérieuse Kanako ? Quel est le sens de la phrase "chacune est la réincarnation de l'autre" qu'elle prononce ? Autant d'éléments qui laissent comprendre d'emblée au lecteur que les deux jeunes filles semblent bien plus liées que par une simple amitié, et que le fantastique sera ici de mise.
Les mystères ne font que commencer, lorsqu'un soir, pendant l'une des expéditions nocturnes des deux jeunes filles, Kanako, en pleurs, se retrouve la minute d'après sous les roues d'un train... Est-là une tentative de suicide ? Un accident ? Ou même un meurtre ? C'est ce que tentera de découvrir l'inspecteur Kiba, présent dans le train au moment des faits. Mais très vite, l'enquête prend des proportions surnaturelles et étranges...
Le moins que l'on puisse dire, c'est que le Coffre aux Esprits intrigue beaucoup dès ses premières pages, un avant-goût nous étant même offert à travers des pages introductives en couleurs, dont l'étrange contenu, à première vue, semble n'avoir aucun rapport avec la trame principale ou même le synopsis proposé par les éditions Soleil en quatrième de couverture.
Et pour cause: si vous vous attendiez ici à une enquête policière traditionnelle, sachez que vous faites fausse route. Tout au long de ce premier tome, les auteurs multiplient sans véritables transitions l'arrivée de nouveaux personnages dont les histoires semblent destinées à venir s'entremêler autour de l'enquête: les mystères liés à Kanako, à son accident et à sa beauté parfaite, l'évolution de Yoriko après l'accident et les différentes facettes de sa personnalité, parfois inquiétantes et qui viendraient presque justifier le fait que sa mère la voie comme un démon, le lien obscur et "éternel" qui semblerait exister entre les deux jeunes filles, les pensées de l'imposant inspecteur Kiba, dont on se demande pourquoi il se sent aussi vide intérieurement, la découverte de corps démembrés ici et là, et les pensées d'un individu obsédé par une poupée... Ce ne sont là que quelques exemples de ce qui vous attend, ce premier opus regorgeant d'autres détails tout aussi mystérieux.
Petit à petit, au fil de la lecture, les principaux personnages, tous torturés, se dévoilent donc, et certains, à l'image de Yoriko, laissent transparaître une folie parfois insoupçonnée, que fait parfaitement ressortir le coup de crayon d'Aki Shimizu, capable de varier subitement et de manière saisissante les expressions faciales des protagonistes. Au final, parmi les principaux personnages de ce premier tome, celui qui nous apparaît comme le plus sensé, ou du moins le plus humain, reste l'inspecteur Kiba, massif et bourru, facilement attachant, et dont l'envie de découvrir les nombreux mystères autour de l'accident de Kanako captera facilement le lecteur. Mais l'on devine également que l'inspecteur cache des choses...
Si la narration décousue, se partageant sans véritables transitions entre la multitude de personnages, peut sembler être un handicap au départ, elle s'avère finalement être l'un des moteurs de l'intérêt du récit, car elle lui offre une ambiance énigmatique saisissante. Ici, aucun élément n'est donné de manière concrète, du moins en ce qui concerne ce premier tome. Et si le lecteur comprend très vite que tous les mystères ont un lien entre eux et que tous les personnages y sont ou y seront mêlés d'une manière ou d'une autre, volontairement ou involontairement, ce sera bel et bien à lui de tenter de rassembler les éléments, de faire des rapprochements logiques pour tenter de comprendre ce qui se trame réellement. Les mordus d'histoires mystérieuses construites comme un puzzle devraient être ravis. Mais qu'on se le dise, il faudra lire l'ouvrage de manière très attentive pour espérer tout comprendre, car dans le Coffre aux Esprits, chaque petit évènement, chaque détail, chaque dialogue semble avoir son importance. Et si, au fil de la lecture, on a l'impression de commencer à comprendre ce qui peut bien se tramer, il faudra s'attendre à de nouveaux rebondissements venant sans cesse enrichir l'ensemble, à l'image de cette toute dernière page qui voit le personnage de la couverture faire sa première apparition. Un tome complet avant qu'il n'apparaisse. Intrigant, vous dit-on.
Pour revenir sur les dessins, dont on a déjà dit qu'il s'avèrent redoutablement efficaces quand il s'agit d'offrir des expressions variées et réussies aux personnages, soulignons également la grande maîtrise qu'a Aki Shimizu de son trait. Chaque personnage revêt un physique qui lui est propre et est instantanément reconnaissable, le trait est fin, précis et détaillé, et les décors largement présents. Quant au découpage et à la mise en scène, ils savent rendre l'ensemble très immersif. Cependant, un détail pourra en rebuter certains: les physiques de certains protagonistes peuvent paraître exagérément caricaturaux, à l'image de la mère laide et sans cesse hystérique de Yoriko, de son écoeurant beau-père dégoulinant de sueur, ou encore du serviteur bossu du centre de recherche. Toutefois, une fois ce détail accepté, on se rend compte qu'il contribue largement à l'instauration d'une ambiance assez malsaine et poisseuse.
Si, après avoir vu l'élégante couverture et lu le résumé un brin simpliste à l'arrière du tome, vous vous attendiez à un manga plus simple que ce qui a été dit, vous avez donc compris que vous faisiez fausse route. Très riche, mystérieux, surnaturel, malsain et beau, ce premier tome ravira les amateurs d'intrigues complexes dont les liens restent encore à dénouer, et pourrait être une excellente expérience pour quiconque a envie de s'engager dans du seinen plus poussé que la moyenne. Au Japon, la série s'est terminée il y a peu avec son cinquième volume, et l'on a donc bon espoir que le rythme ne baisse jamais par la suite. En attendant de le savoir, ce premier volume est un coup de maître dans le genre.
Du côté de l'édition, miracle: Soleil a fait quelque chose de potable ! Si des moirages persistent par moments, l'impression est dans l'ensemble satisfaisante. La traduction est fluide malgré quelques petites coquilles d'ordre orthographique, le papier est de bonne qualité, et les 8 premières pages en couleurs sont un véritable régal pour les yeux et raviront tout amateur d'Aki Shimizu.